Le papier c’est fini ou pas ? Marc Delhaie, PDG d’Iron Mountain France, se penche sur les conséquences d’une révolution en marche…
Par Marc Delhaie, Président-Directeur Général d’Iron Mountain France
Les gens aiment le papier. C’est peut-être l’une des histoires d’amour les plus longues de l’histoire de l’humanité. Depuis son invention, il y a quelque 2 000 ans, le papier est devenu le gardien de notre histoire, des croyances et des cultures des peuples. Malgré l’explosion des communications numériques, notre passion pour le papier ne montre aucun signe d’affaiblissement. Et le monde de l’entreprise n’y fait pas exception.
Les études sont de plus en plus nombreuses à démontrer qu’une moindre dépendance des entreprises au papier pourrait leur faire gagner en efficacité et limiter les risques et les coûts encourus, en plus de faciliter l’extraction d’informations décisionnelles de la somme des données générées. Pourtant, une étude publiée en début d’année[i] révèle que la consommation de papier s’intensifie dans un tiers des entreprises interrogées. Une entreprise sur 10, dans la catégorie de celles comptant entre 500 et 5 000 employés, constate même une augmentation rapide de l’utilisation du papier.
En Europe, 58 % des entreprises de taille moyenne archivent leurs documents papier sur site[ii], le plus souvent dans leurs caves. Sans le savoir, elles risquent la perte de ces actifs précieux.
En effet, dans un monde où l’information revêt une réelle valeur pour l’entreprise, ceux qui gèrent les archives papier se soucient plus du contenu d’un document que du support en lui-même, en l’occurrence le papier.
Ils rassemblent donc les imprimés qu’ils jugent utile de conserver et de protéger, les mettent dans des cartons ou des dossiers, qu’ils classent par ordre alphabétique sur des étagères dans la cave. Ils s’assurent de tout bien répertorier pour pouvoir retrouver facilement l’information voulue, puis ils éteignent l’éclairage au néon et referment bien la porte derrière eux.
Les documents papier restent ainsi dans le noir, à la merci des conditions physiques et chimiques de l’environnement. La température et l’humidité sont souvent les premières agressions, mais il ne faut pas mésestimer le rôle des insectes, des rongeurs, de la pollution ou encore des substances chimiques contaminantes. Vient ensuite le risque d’une inondation ou d’un incendie.
Il n’est pas si simple de protéger le papier. Il faut contrôler de près les conditions climatiques : des températures stables, basses de préférence, un niveau bas d’humidité relative (mais pas trop au risque que le papier sèche et s’effrite), une exposition limitée à la lumière (suffisante quand même pour prévenir les moisissures qui prolifèrent dans l’obscurité), une bonne ventilation (même si elle est parfois favorable aux rongeurs et insectes) mais peu de pollution (difficile à contrôler dans les caves en ville), et éliminer autant que possible la poussière et le risque de contamination chimique au contact d’autres matériaux (d’autres documents, mais aussi de la peinture, des étagères, des matériaux d’emballage).
Tous ces risques potentiels prennent plus d’importance encore quand on sait la propension naturelle du papier à se détériorer. Avant 1850, on fabriquait le papier à partir de longues fibres de coton, de lin ou de paille qui, tressées, permettaient d’obtenir un papier solide et durable. Aujourd’hui, les fabricants de papier utilisent de la pâte de bois cordée, plus fragile, qu’ils renforcent artificiellement avec du sulfate d’aluminium, avant de la battre au cours du procédé de production mécanique. Recycler le papier a pour effet de fragiliser encore la structure.
Pour des brochures ou documents à l’effet glacé, on rajoute d’autres produits chimiques au mélange sous la forme de bains, d’encres et de gommes adhésives.
On obtient ainsi des documents hautement acides, véritables armes d’autodestruction. En effet, en plus de leur moindre résistance physique aux agressions que les papiers plus anciens, leur simple détérioration produit des émanations chimiques qui accélèrent le processus avec le risque d’endommager les documents stockés à proximité. Les pires de tous sont les journaux en décomposition.
Rien d’étonnant à ce que de nombreuses entreprises n’aient ni le temps, ni les ressources pour s’inquiéter de tous ces risques, ni même les comprendre ; elles font donc inévitablement des compromis entre l’environnement idéal d’archivage du papier et la nécessité de conditions pratiques d’accès aux informations réutilisables. Déménager les archives de la cave pourrait être une bonne idée, mais qui expose à de nouveaux risques liés à la chaleur, à la fumée, à la lumière… sans oublier l’éventuelle maladresse d’un employé conduisant à un accident.
Alors que faire ? Nous recommandons aux entreprises de faire l’état des lieux de leurs documents papier pour décider de ce qui est vraiment important ou réutilisé le plus fréquemment, puis de numériser ces documents ; tout le reste doit pouvoir être archivé dans un lieu distant, sécurisé, aux conditions environnementales contrôlées.
A plus long terme, il convient d’instaurer une culture de moindre dépendance vis-à-vis du papier. L’étude de l’AIIM nous apprend que 77 % des factures électroniques reçues par les entreprises sont immédiatement imprimées, dans 10 % des cas en plusieurs exemplaires, et dans 16 % des cas uniquement pour être renumérisées en format PDF ; les factures imprimées finissant probablement dans les archives, à la cave. Quel gaspillage inexcusable de ressources et de papier ! Si vous avez pu attirer l’attention sur la troisième édition annuelle de la ‘Journée mondiale sans papier’, espérons que vous aurez contribué à éradiquer ce genre de pratiques sur votre lieu de travail.
[i] ‘The paper-free office: dream or reality?’, AIMM, février 2012
[ii] Etude sur l’utilisation de l’information et le Big Data en Europe, par Iron Mountain et Colman Parkes, août 2012 : 760 entretiens avec des représentants d’entreprises de 150 à 2500 employés dans 6 pays européens, France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Espagne et Hongrie.