Le manager commercial de proximité apparaît comme le « grand oublié » des évolutions qui, durant la dernière décennie, ont bouleversé les activités de distribution des entreprises. Ce constat est clairement mis en évidence par Keyrus Management dans une enquête menée auprès des directions commerciales d’entreprises BtoB et BtoC figurant parmi les leaders sur leur marché.
Reconstruire la légitimité des managers
Les responsables commerciaux interrogés l’ont clairement exprimé : ce sont les compétences managériales et la capacité à porter le flambeau auprès des équipes qui font aujourd’hui le plus défaut à la première ligne d’encadrement.
La population actuelle des responsables d’équipes ou de points de vente est en grande partie composée d’autodidactes du management. Titulaires d’un diplôme universitaire de niveau bac+3, ils ont gagné leurs galons de manager sur le terrain après une expérience plus ou moins longue dans différents postes de vendeurs. Formés souvent à la vieille école, ces professionnels sont amenés à encadrer de jeunes commerciaux ambitieux, plus diplômés qu’eux et, qui plus est, rompus à la logique et à l’usage des outils de CRM.
Ce décalage de qualifications et de culture engendre un déficit de reconnaissance de la part de la jeune génération vis-à-vis des managers. Déjà encline à ne se fier qu’à elle-même pour atteindre ses objectifs, cette génération relativise d’autant plus fortement l’apport d’expérience et l’autorité des « anciens » qu’elle les voie mal à l’aise avec les technologies et, surtout, obligés d’en référer au siège pour toute décision.
Dans ce contexte de réticence, sinon de déni, comment le manager peut-il insuffler un esprit d’équipe et de challenge collectif ? Sa hiérarchie doit en premier lieu lui donner les moyens d’affirmer sa légitimité. Elle peut aisément commencer en étant plus transparente sur des éléments de pilotage économique et commercial tels que les prix de revient et les marges des produits et services distribués et en assouplissant les processus de décision, à l’instar des réseaux de concessions automobiles où les managers disposent d’une forte autonomie en matière de remises aux clients.
Favoriser les initiatives transversales
La réponse aux demandes client implique de plus en plus des solutions qui sortent des sentiers battus ; cette évolution des relations entre l’entreprise et ses clients, d’abord constatée sur le marché BtoB, commence désormais à intégrer les secteurs proposants des services aux consommateurs.
La réponse adéquate à la demande client sollicite des savoir-faire supplémentaires parfois difficiles à identifier au sein de l’entreprise. Cela implique la mise en place dans l’entreprise d’une «architecture de la connaissance » qui doit faciliter les échanges et permettre de pérenniser le savoir « du terrain ».
Aussi, les entreprises doivent réfléchir à la création de communautés managériales au sein de l’univers commercial. Ces communautés doivent s’appuyer sur des processus et des outils dédiés comme la mise en place de réseaux sociaux internes.
Ainsi, la stimulation des échanges directs entre pairs permettra d’accélérer la diffusion des bonnes pratiques de vente, sur les produits à cycle de vie court comme sur les réponses personnalisées aux clients et favorisera le déploiement des pratiques managériales (collaboratif physique, séminaire…)
En parallèle cette dynamique collective contribue au développement d’un « esprit de corps », à la fidélisation des managers, voire au recrutement des équipes en érigeant le mode collaboratif comme un élément différenciateur de la promesse employeur.
Valoriser la compétence managériale
Les pistes qui précèdent peuvent contribuer à asseoir l’autorité du manager vis-à-vis de son équipe en lui conférant un pouvoir de connaissance et de décision. Elles sont cependant insuffisantes pour lui permettre de jouer son rôle d’encadrement, lequel, faut-il le rappeler, ne se borne à superviser et contrôler le travail de ses vendeurs. On veut qu’il soit un appui opérationnel pour la force de vente ? Qu’il fasse monter son équipe en compétence ? Qu’il « coache » individuellement ses vendeurs ? Il n’en a matériellement pas le temps.
Pour que le manager local soit le « coach » qu’on lui répète à l’envi qu’il doit être, il faut, d’une part, que l’entreprise sorte de l’incantation et lui donne des objectifs managériaux explicites et, d’autre part, qu’elle cesse de l’accabler d’obligations de reporting et de ces travaux administratifs qui accaparent toute son énergie : le pilotage local ne doit pas dépendre de plus de 5 indicateurs.
Intégrer des objectifs managériaux dans le calcul des rémunérations n’est pas une pratique aussi courante qu’on veut bien le dire dans les réseaux de distribution. Il faut en faire un levier et, pour cela, redonner du temps aux managers de proximité : du temps pour se former, du temps pour être avec leur équipe et avec les clients, du temps pour réfléchir. Ce temps reconquis, notamment sur les tâches administratives, leur permettra en outre de développer la palette de compétences nécessaires pour envisager un parcours professionnel motivant au sein de l’entreprise.
Réinventer les logiques d’évolution
« Les systèmes de rémunération doivent prendre en compte la diversité des situations que les managers rencontrent dans les points de vente ou les territoires qui leur sont confiés ».
La progression-promotion des managers commerciaux est trop souvent synonyme de prise en charge d’un point de vente ou d’un territoire plus important en termes de revenus pour l’entreprise. Placer systématiquement les meilleurs managers à la tête des plus grosses entités n’est pas toujours la meilleure politique. Elle conduit notamment à confier des territoires de vente bien installés à des managers possédant des qualités de développeur qui seraient mieux employées sur des territoires plus difficiles ou plus petits dont le développement représente un vrai challenge.
Mais, cette logique étant profondément ancrée dans les esprits, et ce dans tous les secteurs, comment motiver un manager « méritant » à prendre les rênes d’un point de vente ou d’un territoire a priori peu valorisant ou prestigieux pour son évolution ? Il existe pour cela des leviers de personnalisation que les entreprises ne savent pas ou ne souhaitent pas actionner. Le premier consiste à assouplir les grilles de rémunération (en particulier les parts variables) pour mieux récompenser le manager qui « prend un risque » en acceptant un point de vente ou une zone commerciale complexe et challengée.
Le deuxième levier consiste à hiérarchiser les postes de manager en fonction de la difficulté et de la complexité des missions et non plus seulement en fonction du volume de chiffre d’affaires et du type de clients gérés. Etablir cette « grille du challenge » demande un réel travail d’évaluation des contextes locaux (paysage concurrentiel, caractéristiques de la zone de chalandise, force de l’équipe de vente…) mais permet de clarifier le défi, les enjeux et les compétences requises pour chaque territoire. C’est, en outre, un bon moyen pour arrêter de confondre « défi commercial » et « rente de situation »…
Une gestion plus fine des talents : un enjeu de compétitivité
Dans la recherche accrue de compétitivité des entreprises, l’efficacité du dispositif commercial est aujourd’hui centrale. L’amélioration de la performance des réseaux de vente physiques est devenue d’autant plus critique que ce canal est désormais systématiquement comparé aux canaux à distance, souvent jugés plus efficients parce que moins consommateurs de ressources humaines. C’est oublier un peu vite l’apport fondamental de la présence territoriale et de la proximité client dans un paysage commercial qui tend à se déshumaniser.
Quoi qu’il en soit, le maintien des réseaux physiques passe aujourd’hui par la recherche d’une plus grande efficience. La première étape vers cet objectif est d’optimiser l’adéquation entre les besoins opérationnels des points de vente et le profil des managers qui le pilotent. A chaque entreprise de déterminer, en fonction de ses priorités et des réalités de ses territoires, l’équilibre optimal entre les managers ayant un profil de gestionnaire, de développeur, d’entrepreneur et d’organisateur – et de donner à chacun la marge de manœuvre, la légitimité et les marques de reconnaissance qui redonneront du sens à ses efforts sur le terrain.
Qui est Marc Rousselle ?
Marc Rousselle, associé en charge du savoir faire Stratégie Marketing Ventes au sein de Keyrus Management, a un parcours de plus de 20 ans dans des activités opérationnelles et de conseil. Il a occupé en particulier des fonctions de vente et d’animation d’équipes commerciales au sein de grands réseaux de distribution. En tant que consultant, il intervient sur des problématiques de stratégie de distribution et assiste de nombreuses entreprises dans l’amélioration de l’efficacité de leurs dispositifs commerciaux, dans les secteurs industriels, ou de services aux entreprises et aux particuliers. Marc intervient également sur les problématiques de mise en marché de nouveaux services, sur la montée en compétences des forces de vente et d’animation des réseaux de vente indirecte.