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Actualités: ENTREPRISE

L’avenir des achats est dans le développement des pratiques collaboratives

Bertrand Frot, Keyrus

Par Bertrand Frot, Associé chez Keyrus Management
Les directions Achats sont au confluent de trois populations – les acheteurs, les prescripteurs et les fournisseurs – dont les intérêts et les motivations ne sont pas nécessairement convergents. Ainsi, la rationalisation des achats et des coûts que doit piloter l’organisation « Achats » en la personne des acheteurs est par essence antagoniste de la recherche de marge du fournisseur.

De même, elle va à l’encontre du désir d’autonomie des prescripteurs, en particulier dans le domaine des achats hors production. Quelle direction métier n’a pas un jour été confrontée à la difficulté de faire intervenir un cabinet de conseil non référencé par sa direction Achats ?

UNE RELATION TRIPARTITE

Quoi qu’il en soit, ces populations sont vouées à travailler ensemble, la direction des Achats étant garante du respect des règles d’achats internes et d’un traitement éthique des fournisseurs, et les acheteurs étant, de fait, en position d’intermédiation entre les fournisseurs et les prescripteurs.

Ces trois communautés ont besoin les unes des autres pour créer de la valeur au sein de l’entreprise étendue, c’est-à-dire l’entreprise stricto sensu et ses fournisseurs. Si, pendant les décennies écoulées, l’apport principal de la direction Achats a été de rationaliser et de consolider la demande interne et, ce faisant, de réduire les coûts, son rôle a continué à évoluer. Sont ainsi entrées dans le champ de la direction Achats des problématiques de qualité, de délais mais aussi d’amélioration continue et de contribution à l’innovation, via un sourcing intelligent et des processus de veille et d’évaluation plus performants.

Cela signifie qu’aujourd’hui la valeur ajoutée de la direction Achats réside dans sa capacité à faire travailler ensemble les acteurs des trois communautés – autrement dit, à en être le chef d’orchestre et à favoriser les collaborations fructueuses. Il ne s’agit plus de mettre l’acheteur en position d’animer la relation entre le prescripteur et le fournisseur. Il s’agit de faire exister une relation tripartite qui sera elle-même génératrice de valeur.

L’ENJEU : PARTAGER L’INFORMATION LE PLUS EN AMONT POSSIBLE

Les outils de travail tels que les messageries, intranets, extranets, portails achats ont permis aux directions Achats de faciliter la circulation de l’information et les processus d’achats en tant que tels. Mais le monde a changé, l’entreprise s’est ouverte, et d’autres outils sont aujourd’hui disponibles dont les directions Achats doivent apprendre à tirer parti – à savoir les outils collaboratifs et les réseaux sociaux. Chaque individu est maintenant interconnecté à de multiples réseaux

– professionnels, semi-professionnels et privés – où il cherche, trouve et diffuse de l’information qu’il utilise à des fins tant personnelles que professionnelles. Le fait de vouloir cloisonner ces dimensions n’a désormais plus de sens. Ce n’est pas par hasard si la plupart des entreprises qui ont essayé d’internaliser le concept de réseau social (en limitant ce réseau aux seuls salariés) ont essuyé des échecs : les réseaux d’aujourd’hui sont par nature ouverts, autonomes et sans limite. C’est la règle de base pour que l’information circule, que les conversations se nouent et que des communautés se constituent autour de sujets d’intérêt commun.

C’est précisément ce vers quoi les directions Achats doivent tendre si elles veulent favoriser les collaborations en amont non seulement de l’achat lui-même, mais de l’expression même des besoins des prescripteurs.

Cette collaboration permet de porter à la connaissance des prescripteurs les solutions qui existent sur le marché, d’affiner les besoins de manière itérative et informelle, avant de rédiger un cahier des charges et d’intégrer les fournisseurs dans la conversation ainsi que les « feedback » des prescripteurs qui ont rencontré des problématiques d’achat similaires. Pour quelle valeur ? L’expérience montre que lorsque l’acheteur intervient uniquement au niveau de la négociation, il va pouvoir gagner de l’ordre de 5%. S’il intervient au niveau du cahier des charges, il pourra tirer les prix de -20 à -30%, et même de -40 à -50% s’il fait un véritable travail de sourcing par rapport à un besoin détecté très tôt et anticipé.

COMPRENDRE L’ESPRIT DU COLLABORATIF

Tout l’outillage des directions Achats était jusqu’ici focalisé sur la formalisation et la gestion de l’acte d’achat. Les relations fournisseurs étaient gérées séparément et limitée aux interactions entre acheteurs et fournisseurs, tout simplement parce qu’on ne savait pas comment y intégrer les prescripteurs. Les réseaux collaboratifs et le travail en micro-réseaux rendent cette relation tripartite possible – sachant, bien sûr, que l’existence d’un outil n’a jamais suffi à garantir son adoption, même si le besoin auquel il répond est bien réel. Les organisations Achats s’étaient mises au mode projet mais il est apparu, depuis le phénomène Wikipedia que ce n’était pas forcément le mode le plus efficace (exemple la lutte contre le SRAS en 2003). Aujourd’hui, quand quelqu’un rencontre un problème ou cherche une information, il pose sa question en ligne, sur des plateformes sociales ou des forums plus ou moins ouverts et des dizaines, voire des centaines de contributeurs (individuels ou communautaires), vont lui apporter sinon toute la solution, du moins des éléments de solution, dans des délais qui n’ont rien à voir avec ceux d’un travail de documentation ou de recherche « classique ». On constate que la qualité des solutions/réponses élaborées de cette manière est excellente, notamment en raison du niveau de contrôle et de vigilance qu’exercent spontanément les participants les uns vis-à-vis des autres. Témoignant de ce sérieux et de la responsabilisation des acteurs : ceux qui ne jouent pas le jeu ou qui le biaisent sont rapidement identifiés et rappelés à l’ordre par les autres.

On comprend que l’instauration de ce mode de fonctionnement, qui est déjà celui de la génération Y, ne relève pas que de la « communication », c’est-à-dire du message poussé opportunément vers une cible pour provoquer la réaction souhaitée. Il s’agit en l’occurrence d’apporter de l’information à valeur ajoutée pour les parties prenantes en fonction de ce que l’on sait de leurs besoins (prescripteurs) et de leurs offres (fournisseurs) et fondamentalement d’animer des communautés disjointes.

LA PLUS GRANDE DIFFICULTE : CASSER LES FREINS AU DEMARRAGE

Il est aussi difficile de créer des communautés « virtuelles » qui fonctionnent que d’empêcher ce type de communautés de se créer. Pour initier ce changement de mode de travail, la direction Achats doit soigner le lancement du projet en recourant aux méthodes classiques du marketing (segmentation des utilisateurs, préciser leurs besoins et écrire la « promesse » faite à chaque catégorie) ; de la gestion de projet (planification du déploiement) et de la communication en réseau.

Ce dernier point consiste notamment à trouver et à motiver des « influenceurs », parmi les acheteurs, les prescripteurs et les fournisseurs.

Il faut également que la proposition de valeur soit formalisée pour chacun des groupes visés. Cela consiste à formaliser ce que chacun apporte et reçoit. Typiquement l’acheteur  apporte des règles, des outils et des processus et reçoit de la visibilité sur les besoins et sur le marché fournisseur.

Les prescripteurs apportent pour leur part du feedback sur les fournisseurs et de l’ouverture et reçoivent des informations qui leur permettent d’innover plus rapidement, de réduire leurs coûts ou de fiabiliser leur travail.

Les fournisseurs apportent de l’information sur leurs produits et innovations et bénéficient en retour du feedback direct des prescripteurs et d’une ouverture vers d’autres prescripteurs.

Enfin, il faut mettre en place un dispositif d’animation qui repose à la fois sur des techniques d’indexation de contenus (internes, externes et publiques), de gestion de référentiel partagé et sur des outils d’appréciation simples (du type « like ») qui sont de forts incitateurs à apporter des contenus et des commentaires. En d’autres termes, pouvoir donner son avis incite à apporter sa pierre à l’édifice et à ne pas être un simple « consommateur » d’informations. Un autre élément clé du dispositif d’animation est la présence de modérateurs et / ou « community managers » – compétences dont les directions Achats vont devoir se doter.

LE POUVOIR DU CHEF D’ORCHESTRE

A l’heure où les entreprises externalisent un nombre croissant de ressources et de fonctions, c’est clairement dans la mise en relation et par la collaboration que les directions Achats peuvent renouveler leur contribution à la valeur créée par l’entreprise. Les outils sont à portée de main, les acteurs concernés les utilisent déjà à titre privé et professionnel. Il faut juste étoffer le cadre dans lequel ces collaborations vont pouvoir s’établir – en veillant à ne pas le fermer et à l’animer. Surtout, il faut comprendre que si la direction Achat n’en prend pas l’initiative, la dynamique se créera malgré tout – mais sans elle, ce qui accroît le risque pour elle de se voir reléguée au rôle dont elle ne veut pas : celui de dernier maillon de la chaîne, exécutant des décisions dont elle n’aura pas été partie prenante et où son apport « métier » sera de moins en moins valorisé.

Bertrand Frot est associé chez Keyrus Management, où il occupe notamment la fonction de responsable des services auprès des Directions Achats. Diplômé d’HEC (1988), il a une double expérience dans l’industrie et dans le conseil.

Il a accompagné avec succès de nombreux programmes de transformation et mises en place de systèmes pour des Directions Achats. Bertrand Frot est également spécialisé dans la mise en œuvre de processus transverses.

 

Gérard Clech

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