Par Stephan Samouilhan, Directeur du Centre Innovation du Groupe Keyrus
Le marché des smartphones explose, celui de la BI reste l’un des plus dynamiques de l’informatique d’entreprise, on pourrait donc logiquement s’attendre à ce que la BI mobile explose elle aussi. Or ce n’est pas le cas.
Voilà pourtant près d’une décennie que l’on prédit le décollage de la BI mobile. Malgré l’engouement de la fin des années 1990 pour les PDA, la chose ne s’est pas produite et il aura fallu attendre la percée des mobiles 3G pour que la question redevienne vraiment d’actualité. Après avoir équipé leurs cadres de Blackberry, principalement pour qu’ils aient à tout moment accès à leur messagerie professionnelle, les entreprises voient ces mêmes cadres succomber les uns après les autres aux charmes des produits d’Apple. Dès lors qu’ils en sont équipés, les possesseurs d’iPhone souhaitent pouvoir utiliser leur device favori pour accéder non seulement à leur messagerie mais à tout leur environnement de travail, BI comprise. De leur côté, surfant sur la vague de l’Applemania, les principaux éditeurs de BI ont tous récemment lancé – ou relancé – des offres de BI mobile sur lesquelles les entreprises commencent effectivement à se pencher. Cependant, si en 2008 deux tiers des entreprises se déclaraient prêtes à adopter les fonctionnalités de BI mobiles proposées par les grands éditeurs du secteur [1], on est encore loin du compte.
Un virage incontournable pour les éditeurs
La récente offensive des grands éditeurs sur le créneau de la BI mobile n’est pas uniquement due à un effet d’aubaine. Certes, toute annonce présentant un lien avec les terminaux mobiles d’Apple – iPhone et maintenant iPad – est assurée de trouver un écho favorable dans la presse que lisent les managers. Et ces derniers ne manquent pas de relayer l’information au sein de l’entreprise. Mais, au-delà de ce procédé d’influence, les éditeurs ont tous compris que, cumulant progressivement toutes les fonctions de communication et d’accès, le smartphone est en passe de devenir le principal – sinon l’unique – outil de travail des professionnels qui passent la plus grande partie de leur temps en dehors du bureau.
« L’utilisation la plus évidente de la BI mobile, pouvoir accéder à ses indicateurs sur son téléphone, paraît intéressante mais pas suffisamment pour emporter l’adhésion des utilisateurs. »
Cependant, les offres actuelles de BI mobile ne sont encore pour la plupart qu’une mince extension des applications décisionnelles déployées en entreprise. Rares sont celles, en production, qui proposent autre chose que la possibilité de consulter sur téléphone certains rapports, une série d’indicateurs clés et, le cas échéant, d’effectuer quelques explorations basiques sur ces données. En soi, cela n’est pas inutile – à ceci près qu’il faut tout de même une certaine dose de bonne volonté pour consulter sur un écran de 3,5 pouces des éléments conçus pour être visualisés et exploités sur des postes de travail classiques… Sur ce point, les tablettes, iPad en tête, pourraient bien créer la surprise et booster l’adoption de la BI mobile en offrant à l’utilisateur un plus grand confort de lecture et de navigation.
Des progrès notables dans la visualisation de données
A ce jour, les acteurs majeurs de la BI n’ont fait que porter sur mobile – avec plus ou moins de bonheur – les rapports et tableaux de bord accessibles sur les postes de travail habituels. Leurs offres, pourtant centrées sur la restitution et la visualisation d’informations, n’exploitent guère les possibilités offertes par l’ergonomie et la qualité d’affichage propres aux smartphones et nouvelles tablettes. Ce manque a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs proposant des applications de dashboarding spécifiquement conçues pour ces terminaux.
« Une caractéristique des nouvelles applications mobiles, y compris dans le domaine de la BI, est d’arriver dans l’entreprise par l’utilisateur final et non par la DSI. »
RoamBi, de MeLLmo, donne une bonne idée de ce qui plaît aux managers. Cette application transforme les rapports statiques des principales plates-formes de BI en séduisants graphiques que l’utilisateur peut manipuler et explorer à sa guise via l’écran tactile de son iPhone. RoamBi est aussi caractéristique du mode de propagation « viral » de ces nouvelles solutions. Elles arrivent dans l’entreprise par l’utilisateur et non par la DSI : sur recommandation d’un ami/collègue, l’utilisateur télécharge – sur l’App Store et non sur le site de l’éditeur – la version limitée et gratuite du produit « pour voir » ; il réclame ensuite à son entreprise la version Pro – proposée en mode SaaS – qui permet d’utiliser d’autres sources de données qu’Excel ; enfin, la version entreprise devient assez vite indispensable pour accéder aux données de l’ERP, du système CRM et aux rapports du système décisionnel.
Une BI entièrement repensée pour la mobilité
Des graphiques beaux, lisibles, explicites et actualisés sur smartphone ou tablette, c’est déjà un point positif mais si ce n’est que cela, la proposition de valeur tourne court en faisant l’impasse sur les autres atouts des terminaux mobiles : la connexion permanente, la communication instantanée, les capacités multimédias, la géolocalisation… Ces caractéristiques invitent non pas à transposer la BI traditionnelle sur les nouveaux supports que sont les smartphones mais à repenser la BI pour qu’elle soit réellement source de productivité et de valeur ajoutée dans les situations de mobilité. Il faut pour cela repartir des besoins des professionnels nomades bien plus que de l’existant décisionnel de l’entreprise.
« On s’oriente vers une BI mobile ‘ultra personnelle’, centrée sur la gestion des exceptions et faisant plus de place à la collaboration interactive qu’à l’analyse approfondie de grandes masses de données.»
Quels sont ces besoins ? Le premier, en particulier pour un manager opérationnel, n’est pas tant de pouvoir accéder à tout moment à des masses d’informations, aussi bien présentées soient-elles, que de pouvoir être alerté sur ce qui demande une prompte intervention de sa part. Le deuxième besoin est de pouvoir interagir et collaborer avec les membres de son équipe pour traiter l’alerte qui lui a été remontée, sans avoir à changer d’outil. Le troisième est sans doute d’avoir automatiquement les informations pertinentes par rapport à l’endroit où il se trouve – par exemple, pour un responsable commercial, la liste des clients locaux et une vue complète de l’activité de chacun de ces clients, voire des informations externes sur ses clients.
Egalement, un besoin plus spécifique à certaines professions est de pouvoir capturer et transmettre des commentaires audio ou de courtes vidéos. Enfin on peut imaginer des besoins proches des processus opérationnels demandant des applications de Business Intelligence interagissant avec l’environnement immédiat de l’utilisateur. La faisabilité technique a été montrée récemment au travers du prototype produit par le Centre Innovation SAP BusinessObjects qui met en œuvre des capacités de réalité augmentée.
Ces besoins plaident en faveur d’une BI « ultra personnelle » mais bi-directionnelle et collaborative, centrée sur la gestion des exceptions – en d’autres termes, une BI sans doute moins orientée analyse, mais apportant à l’utilisateur une information très
ciblée et contextualisée et des moyens d’interaction immédiats. Les technologies permettant de répondre à ces besoins existent, encore faut-il les assembler et les intégrer dans une interface unifiée et avec le système d’information de l’entreprise.
Et la sécurité ?
Dès que l’on parle de mobilité, la question de la sécurité des données surgit très rapidement. La question s’est posée pour les ordinateurs portables que les DSI tremblent toujours de voir sortir de l’entreprise bourrés d’informations confidentielles sinon stratégiques… L’inquiétude concerne aujourd’hui les smartphones qu’il est si facile de se faire voler ou d’égarer. Pour limiter les risques, toutes les entreprises ont mis en place des procédures permettant de couper l’abonnement télécom ainsi que l’accès distant aux ressources – messagerie et autres – de l’entreprise dès que le vol ou la perte est déclaré.
« Le besoin de sécuriser les données de BI mobile pourrait accélérer le développement d’offres SaaS où les données sont stockées dans le cloud et non sur le terminal mobile lui-même. »
Cette mesure cependant ne peut pas protéger les données stockées sur le mobile lui-même or l’augmentation de la capacité mémoire des smartphones incite les utilisateurs à stocker localement de plus en plus informations personnelles et professionnelles. Si l’on considère que les informations de BI sont sensibles, et elles le sont souvent, il est indispensable de limiter leur stockage sur les mobiles. Cette nécessité pourrait considérablement accélérer le développement d’offres de BI de type SaaS où les applications et les données sont hébergées dans le cloud (privé ou non) et non sur le terminal lui-même.
[1] « Mobile Business Intelligence: A Path to Pervasive BI? », David Hatch, Aberdeen Group, 2008
Stephan SAMOUILHAN, directeur du Centre Innovation Keyrus, pilote cette activité après avoir passé plus de 15 années chez des éditeurs de logiciels spécialisés dans le domaine de la BI, du CRM ou du BRMS. Il a accompagné les plus grandes entreprises françaises et internationales dans l’intégration de technologies de Business Intelligence et de Performance Management. Il s’appuie dans le cadre de la mission Innovation Keyrus sur une équipe dédiée d’experts répartis dans les 11 pays d’implantations du Groupe ainsi que sur un dispositif de capitalisation des savoir-faire à l’échelle du Groupe Keyrus.